Création ou évolution : faut-il vraiment choisir ?

Tous les chrétiens s’entendent pour dire que le monde dans lequel nous vivons est le résultat d’un être personnel – que nous appelons Dieu – existant de toute éternité et désirant être en relation avec nous. C’est le message que nous livrent les trois premiers chapitres de la Genèse. On y voit Dieu créer le monde et tout ce qui s’y trouve, incluant l’être humain. Tout y est raconté de façon rythmée et ordonnée.

Cependant, les découvertes de la science semblent nous dire que tout ne se serait pas déroulé comme la Bible le décrit. Qu’en est-il exactement ? Que disent vraiment les textes bibliques ? Faut-il les opposer à la science ?

En quoi consiste le débat exactement ?

Au sein de plusieurs milieux religieux, on nous place souvent devant un choix face à la question des origines : ou bien nous devons croire la Bible ou bien nous devons croire la science. Selon la Bible, Dieu aurait créé le monde en six jours de 24 heures alors que selon la science, la vie serait le résultat d’un long processus évolutif. L’un et l’autre proposeraient une explication des origines de la vie complètement irréconciliables de telle sorte qu’un choix doit être fait entre les deux, d’où les nombreux débats que l’on retrouve ici et là entre créationnistes et évolutionnistes.

Nous croyons qu’il s’agit là d’un faux choix. Nous optons plutôt pour une autre voie, moins polarisée et plus nuancée. Nous croyons que nous n’avons pas nécessairement à choisir entre la Bible et la science, les deux tentant de répondre à des questions fort différentes. La Bible a surtout pour but d’expliquer la signification du monde dans lequel nous vivons (le qui et le pourquoi) alors que la science tente surtout d’expliquer la mécanique des choses (le quand et le comment). À certains égards, les deux peuvent très bien se compléter.

Nous croyons plutôt que la vraie question est celle-ci : le monde dans lequel nous vivons est-il le résultat du hasard ou d’une pensée intelligente ? Voilà la question la plus importante. À savoir comment Dieu a créé le monde (en six jours de 24 heures ou sur des millions d’années) est somme toute secondaire. La réponse à cette question n’affecte aucunement notre foi. Que Dieu ait créé le monde sur un laps de temps très court ou très long n’ajoute ou ne retranche rien à la foi chrétienne. Malheureusement, il est tentant de se préoccuper davantage de la mécanique des choses plutôt que du sens des choses.

Existe-t-il plusieurs façons de comprendre les textes de la création du monde ?

Oui, il existe différentes manières de lire et de comprendre les textes de la Genèse, chaque lecture ayant ses forces et ses faiblesses. Voici les principales lectures possibles que les biblistes et les théologiens en font :

La lecture mythique : les textes bibliques refléteraient les croyances d’un peuple ancien sur les origines du monde. À l’époque biblique, plusieurs récits de cosmogonies circulaient. Ces récits avaient pour but d’expliquer le sens du monde tel qu’on le percevait et comprenait à l’époque. Les événements auxquels se réfèrent ces récits remonteraient à un passé lointain dont on ne peut vérifier l’exactitude historique. Le récit de la création biblique ne serait alors qu’un récit cosmogonique comme un autre, sans aucun ancrage historique précis.

La lecture littérale : les jours de la création que nous retrouvons dans la Genèse représenteraient des journées de 24 heures. Dieu aurait créé le monde sur une période très courte, en six jours et l’origine de la Terre ne remonterait pas à des millions d’années, mais à des milliers d’années. Cette lecture, bien qu’elle semble la plus naturelle, s’agence difficilement avec les découvertes et les données de la science actuelle. Ses adhérents sont souvent désignés comme étant créationnistes.

La lecture concordiste : les six jours de la création représenteraient différentes périodes de l’histoire humaine, par exemple, des périodes géologiques. Ces périodes peuvent s’étendre sur plusieurs milliers ou millions d’années. Cette lecture tente de faire concorder, d’où le terme concordisme, les textes bibliques avec les données de la science.

La lecture catastrophique : cette lecture tente aussi de rapprocher les textes bibliques avec la science, mais d’une manière différente de l’approche précédente. On postule un laps de temps significatif (plusieurs milliers ou millions d’années) entre le verset 1 et le verset 2 de Genèse 1. Dieu aurait d’abord créé le monde (verset 1) puis aurait ensuite eu à le recréer plus tard (à partir du verset 2) comme suite à l’apparition d’une catastrophe naturelle (ex. la chute d’un météorite) ou cosmique (ex. la « chute » de Satan).

La lecture existentielle : les premiers chapitres de la Genèse n’auraient pas tant pour but de révéler les origines humaines que de mettre en lumière ce qui se passe dans le cœur de chaque être humain dans son rapport à Dieu. Ce n’est pas l’histoire, la tentation et le péché du premier couple qui y serait raconté (avec les conséquences qui en découlent pour le reste de l’humanité), mais notre propre histoire, notre propre tentation ainsi que notre propre péché face à Dieu. Sous la forme d’un récit, en apparence historique, serait communiquée une réalité propre à l’existence humaine.

La lecture littéraire : le récit de la création rapporterait bel et bien des faits historiques (difficilement repérables dans le temps, cependant), mais sous une forme imagée ou symbolique. Les événements de la Genèse se seraient réellement produits, mais pas nécessairement littéralement comme cela est écrit. La création du premier couple, la présence d’un tentateur, l’apparition d’une première désobéissance, la rupture entre Dieu et l’être humain, etc. seraient racontées à l’aide de symboles significatifs présents au Proche-Orient Ancien (l’image du serpent, de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, etc.). Les textes de la Genèse formeraient donc un récit littéraire savamment construit où la création divine est racontée de façon rythmée et ordonnée et s’opposeraient aux autres récits cosmogoniques en circulation à l’époque. Cette lecture cherche surtout à faire ressortir les grandes vérités théologiques des textes. Si la lecture existentielle est une lecture théologique non-historique (le récit de la création n’aurait aucun fondement historique), la lecture littéraire est une lecture théologique supra-historique (un lien quelconque à l’histoire est maintenu, mais sans nécessairement chercher à situer les événements de la Genèse dans l’espace-temps).

Pourquoi est-ce si difficile d’interpréter les textes de la Genèse ?

La difficulté vient du fait qu’on ne sait pas toujours à quel genre littéraire nous avons affaire. Normalement, pour interpréter un texte correctement, il faut savoir déterminer le type d’écrit dont il s’agit, c’est ce qu’on appelle le genre littéraire. Souvent, il est facile de déterminer la nature d’un texte (un proverbe, un psaume, une épître, un récit apocalyptique, un texte narratif, etc.), mais certains textes posent parfois problème, dont les trois premiers chapitres de la Genèse. De quel genre de textes s’agit-il ? Avons-nous là un récit historique, un texte poétique, un récit mythique ou autre ? La réponse à cette question n’est pas aussi simple qu’on voudrait le croire, d’où les problèmes d’interprétation.

La question aussi est de savoir comment expliquer le cadre temporel que nous retrouvons dans la Genèse. Il faut savoir que la Bible nous offre plusieurs récits de création. Certains ont un cadre temporel – la création nous est racontée comme survenant dans un laps de temps donné (ex. Ge 1-2) – d’autres un cadre intemporel – la création nous est racontée sans référence au temps, comme si Dieu avait créé le monde d’un seul coup (ex. Jb 38.4-11 ; Ps 104 ; Ps 136.5-9 ; Pr 8.24-30). Si les textes de la Genèse font référence à un cadre temporel (une création en six jours), c’est sans doute pour une raison précise : quelle est-elle ? De plus, faut-il lire ce récit littéralement ou figurativement ? Faut-il le prendre tel qu’il se présente à nous ou en dégager un sens quelconque ?

Une autre difficulté est de déterminer la juste relation entre la Bible et la science. Celles-ci doivent-elles s’ignorer ? Dialoguer ? S’interpeller ? Devons-nous tenter ou non de les rapprocher l’une de l’autre ? Devrions-nous étudier les textes de la Genèse de manière indépendante des résultats scientifiques ou devrions-nous plutôt tenir compte de ces derniers dans notre compréhension de la Genèse ?

Finalement, l’on se questionne sur le lien à l’histoire. Les textes de la Genèse constituent-ils un récit temporel des origines ou tout simplement une réflexion sapientielle sur la condition humaine ? Doit-on proposer une lecture historicisante ou existentielle de ces textes ? Ces textes concernent-ils le passé ou le présent ? Si lien à l’histoire il y a, peut-on situer les événements de la création dans l’espace-temps ? Doit-on s’attarder à faire cet exercice ?

Laquelle de ces lectures avez-vous tendance à privilégier ?

La confession de foi de la Conférence canadienne des Églises des Frères mennonites (article 4) se contente d’affirmer que Dieu a créé le monde, que tout était très bon à l’origine, que l’univers appartient à Dieu, qu’il en prend soin, qu’il se réjouit de le soutenir et que la création déclare la sagesse et la puissance de Dieu, appelant tous les êtres humains à l’adorer. En dehors de cela, une liberté d’interprétation est accordée, chacun pouvant choisir la lecture de la Genèse qui lui convient le mieux à la lumière de sa compréhension des Écritures.

Toutefois, la lecture littéraire gagne de plus en plus d’adeptes parmi nos dirigeants et adhérents. Le récit de la création est alors interprété comme étant une construction littéraire nous racontant, sous forme semi-poétique, la création de Dieu. L’intention première ne serait pas de nous livrer un compte rendu scientifique des origines de la création, mais de nous dire qui est à l’origine du monde (un Dieu qui se distingue de sa création) et pourquoi le monde a été créé (pour exprimer son amour et être en relation avec d’autres). Ces textes expliqueraient aussi pourquoi le monde est aujourd’hui ce qu’il est (à cause d’une démarche d’autodétermination par rapport à Dieu remontant aux origines humaines). Le cadre temporel (la semaine de 7 jours) qui apparait dans le texte serait alors une construction stylistique ayant pour but de nous expliquer l’agencement et l’organisation du temps et de l’espace dans lequel vit l’être humain, le tout reflétant la sagesse de Dieu. Il servirait aussi à justifier l’institution du sabbat que les israélites devaient respecter, à savoir l’observation d’un jour de repos après six journées de travail.

La lecture littéraire est particulièrement attirante, car elle permet de sortir du fameux débat création vs évolution et de nous intéresser à ce qui est réellement important, à savoir la signification du monde dans lequel nous vivons (le qui et le pourquoi). Il est plus important, en effet, de dégager le sens théologique des textes (ce qu’ils nous enseignent sur Dieu, l’être humain, le monde, etc.) que de déterminer avec exactitude la manière dont la création s’est déroulée (par ex. sur une courte ou une longue période). L’approche littéraire a l’avantage aussi de laisser le champ libre à la science pour faire ses propres recherches et découvertes (le quand et le comment) tout en sachant qu’elle n’est pas infaillible et qu’elle peut très bien se tromper. La science est, effectivement, limitée dans sa portée. Elle a pour but de comprendre comment les choses fonctionnent concrètement. Ses conclusions provisoires sont moins des preuves que des hypothèses susceptibles de modification. Mentionnons finalement qu’il est possible d’adjoindre à la lecture littéraire une dimension existentielle qui se veut alors complémentaire. En plus d’être un récit des origines, les textes de la Genèse peuvent aussi représenter le drame originel tel qu’il se joue en chacun de nous.

Le dernier mot n’a pas encore été dit sur la Genèse. Les recherches bibliques et théologiques concernant les origines du monde se poursuivent toujours. Toutefois, la manière dont Dieu a créé le monde, sur une période de courte ou de longue durée, ne devrait pas affecter notre foi. Si Dieu a créé le monde en six jours de 24 heures, c’est un hommage à sa toute-puissance. Si Dieu a créé le monde sur des milliers ou des millions d’années, c’est un hommage à son éternité ! L’important, c’est d’affirmer que Dieu est à l’origine des choses et que le monde dans lequel nous vivons a un sens et qu’il n’est pas le résultat d’un hasard quelconque.

Peut-on croire logiquement en un Créateur de l’univers ?

Oui, la foi n’est pas aux antipodes de la raison et de la réflexion critique. Si nous croyons en Dieu, ce n’est pas simplement parce que nous sommes ouverts à l’idée de Dieu, c’est aussi parce que notre raison nous y conduit.

Nous croyons que le monde actuel est le résultat d’un être intelligent. Bien sûr, il s’agit là d’une question de foi, nous ne pouvons pas le démontrer irréfutablement, mais nous avons des indices suffisants nous permettant d’emprunter le chemin de la foi (le fait que l’univers ait eu un commencement, la quête humaine de la transcendance, la complexité de l’univers, le sens moral humain, les expériences religieuses personnelles, etc.).

Il faut savoir que lorsque vient le temps de déterminer si Dieu existe ou non, il ne s’agit pas là d’une question de preuves, mais de probabilités. Personne ne peut prouver scientifiquement ni totalement l’existence ou l’inexistence de Dieu. Il faut plutôt jauger les indices en faveur de l’un comme de l’autre.

La question à laquelle il faut répondre est celle-ci : qu’est-ce qui explique le mieux l’origine du monde et de la vie ? Est-il plus probable de croire qu’il y a un Dieu ou qu’il n’y en a pas ? Est-il plus raisonnable de croire que le monde est le résultat du hasard ou le fruit d’un être intelligent ?

À la lumière des données et des indices dont nous disposons à l’heure actuelle, croire en Dieu aujourd’hui et, de surcroit, en un Créateur, nous semble tout à fait logique et raisonnable, encore plus que d’affirmer le contraire, à savoir que Dieu n’existerait pas et que le monde serait la conséquence d’une loterie cosmique.

Stéphane Rhéaume, pasteur principal
Église chrétienne évangélique de St-Eustache